Cette petite phrase résume bien souvent ce que mes interlocuteurs, penchés vers moi dans un effort visible d’empathie, devinent de mes activités, en apprenant que je suis accompagnante à la naissance. Je loue leur volonté de synthèse, de récapitulation de ce qu’ils pensent savoir de ce métier en pleine expansion mais encore méconnu. Je la vois poindre dans la tête de la personne avant d’affleurer ses lèvres, et elle augure d’une belle discussion. Et des discussions visant à développer et à illustrer la liste des prérogatives, des dimensions et des compétences que mes différents intitulés professionnels recouvrent, j’en ai maintenant une certaine expérience! Auteure et réalisatrice de features, ça n’allumait pas plus de lumières que nègre ou prof de cet impossible acronyme FLE (et même FLES si on veut aller au bout de la qualification!). Je pensais que la vogue du yoga allait me simplifier les présentations. Que nenni, je dois déployer démenti, nuances et mises en garde avec encore plus d’expressivité pour retenir un petit peu mon interlocuteur, qui m’a étiquetée en un quart de seconde comme adepte de la méditation, de la lenteur, de la macrobiotique ou encore de la chaleur et des sautillements frénétiques, sur un tapis Lululemon amoureusement désinfectée au pouch-pouch.
Ce n’est donc pas une surprise, ma malédiction des boulots bizarroïdes s’actualise dans cet étrange vocable de doula. Ce joli mot, doux à l’oreille, ne ressort d’aucun dialecte africain, il vient du grec femme qui sert. Les Américains se le sont accaparé en premier, suivi par les Français, peu soucieux comme tout le monde sait de protéger leur langue – je digresse. Aux États-Unis, l’argument en faveur des accompagnantes est d’abord d’ordre financier : la réduction attestée des complications et des interventions médicales, qui peuvent se chiffrer en dizaines de milliers de dollars là-bas, grâce à la présence d’une doula a immensément promu la profession.
Alors, qu’est-ce qu’une doula, et en quoi se distingue-t-elle d’une sage-femme? Excellente question qui me réjouit car elle annonce déjà que mon interlocuteur connaît l’existence des sages-femmes, ce qui va considérablement me simplifier la tâche. Doulas et sages-femmes partagent la même philosophie : la femme est capable de mettre elle-même au monde son enfant, si on protège ce processus naturel et physiologique de toute interférence. Dans cette aventure, sages-femmes et accompagnantes vont servir d’adjuvantes en incarnant cette confiance pour aider la femme et son conjoint à ne jamais la perdre, afin de favoriser le travail spontané et très hormonal (donc très dépendant des conditions extérieures et des personnes présentes) du corps. Cette confiance, qui préside à la philosophie sage-femme au Québec (très spécifique, ceci fera certainement l’objet de chroniques enflammées dans quelques années), se traduit par des gestes, des attitudes et des mots communs aux deux professions, mais qui les distinguent aussi profondément.
Pour résumer:
-la sage-femme a une responsabilité clinique, médicale, de la mère et de l’enfant à naître. C’est une professionnelle de la santé de première ligne, comme les médecins omnipraticiens. Elle s’assure que le travail reste dans les paramètres de la normalité, et elle prend la décision de transférer le binôme mère-enfant à une autorité médicale de seconde ligne s’ils sont franchis. La sage-femme a suivi une formation universitaire de quatre ans et demi, indépendante du cursus de médecine, et elle est rattachée à une maison de naissance. Elle suit les familles depuis la onzième semaine de grossesse environ jusqu’à 6 semaines après la naissance.
-l’accompagnante à la naissance est une professionnelle de la relation d’aide, elle n’a pas de compétence médicale et n’est pas habilitée à poser le moindre geste clinique envers ses clients. Elle assure le couple de son soutien constant et a un rôle informatif et de conseil pendant toute la période périnatale. Elle offre des rencontres pré et postnatales, sa présence à l’accouchement, et un suivi téléphonique/courriel. Elle a reçu -ou pas, certaines sont autodidactes- une formation d’une durée variable, donnée par un OSBL ou par une entreprise, et elle travaille à son compte, pour un organisme communautaire et/ou pour une petite entreprise.
Une fois ces différences majeures énoncées, j’explique les appels en pleine nuit, les compresses chaudes qui fripent les doigts, la navigation diplomatique dans la haute mer des hôpitaux, les courbatures liées aux massages donnés pendant des heures coincée entre un calorifère et le ballon, le soutien à l’allaitement, et toute l’immense joie qu’apporte ce privilège incroyable d’être conviée à la naissance d’un nouvel être humain…