Risques et défis du postnatal

Prologue

Voilà un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Sûrement mon esprit de contradiction, ou plutôt, mon militantisme pour les causes orphelines. Nous vivons dans une société qui, et c’est heureux, persiste à glorifier la femme enceinte, mais l’abandonne brutalement à son ventre distendu, ses noires pensées et son épuisement dès la sortie du bébé. Dès lors, le petit humain concentre tous les regards, parfois les aînés en ont quelques miettes, et la mère écrase sa solitude. Le papa n’est même pas dans le portrait, alors qu’un sur dix serait atteint de dépression postpartum. Il est merveilleux et sain de saluer le nouveau-né, de fêter sa courageuse entrée dans le monde aérien, mais alors qu’elle pourvoit parfois dans la douleur et toujours dans l’abnégation à son développement, la maman ne reçoit pas un dixième des soins et de l’attention qu’elle mérite à mon avis. Avis partagé par la plupart des cultures dites traditionnelles (je pourrais gloser longtemps sur le choix très insatisfaisant de ce vocable) qui appliquent des principes universels pour aider la femme à traverser en sécurité la période postnatale, particulièrement pendant les 40 jours suivant la naissance.

En sécurité, le mot peut paraître fort à nos yeux d’Occidentaux, mais il est parfaitement justifié par la biologie et la psychologie périnatales. Replaçons les choses en perspective. Pendant 9 mois, le corps a subi d’extraordinaires mutations, forçant l’esprit à s’y adapter dans un temps somme toute record : le débit cardiaque et le volume sanguin ont augmenté jusqu’à 50%, ce qui impose une distension des veines et un œdème physiologique des membres et des gencives; les abdominaux grands droits se sont allongés de 15 centimètres; tous les organes sauf le foie ont augmenté de volume, la croissance la plus spectaculaire étant celle de l’utérus qui passe de quelques dizaines de grammes avant la conception à plus d’un kilo à terme; la consommation d’oxygène s’est accrue de 20 à 30%; le métabolisme et la sécrétion hormonale sont complètement chamboulés pour prioriser la gestation du bébé sans compromettre la santé maternelle.
À l’issue de ces plus ou moins neuf mois d’anabolisme (construction), l’accouchement, que Bernadette de Gasquet qualifie d’entorse physiologique, sera immédiatement suivi d’un catabolisme (destruction) qui s’étalera par étapes (souvent multiples de trois : trois mois, neuf mois, un an, trois ans qui est l’âge naturel du sevrage, délai recommandé par l’OMS entre deux naissances) bien au-delà du fameux six semaines de cicatrisation du col qui coïncide avec le dernier rendez-vous médical. Passé ce délai, hop, la femme est livrée à elle-même et incitée à reprendre au plus sacrant sa vie, son corps et sa santé mentale, avec un patron chronophage et intraitable de 55 centimètres à la maison.

En attendant Zoïa…

L’accouchement est un moment d’exception, hors du temps et de la normalité physiologique. Les femmes y voient comme un mur dont le franchissement est une épreuve, un rite initiatique, un passage d’un état à un autre. Pendant toute la grossesse, on pense peu à l’après, même lorsqu’il est bien connu des parents aguerris. À l’approche du terme, toutes les énergies et les pensées de la femme sont orientées vers cet événement. En quelques heures, le corps suspend ou détourne certaines de ses fonctions pour maximiser le processus spectaculaire de mise au monde. Le sacrum, les épines iliaques et le coccyx s’écartent (en contre-nutation lors de l’engagement puis en nutation pour la poussée) pour que le détroit pelvien s’adapte optimalement au périmètre crânien du petit passager. La symphyse peut s’y mettre aussi, une bande ligamentaire joignant ses deux parties servant justement à donner un peu plus de jeu. Le périnée s’amplie : après xx naissances à mon actif d’accompagnante, je n’en reviens toujours pas d’assister au miracle de sa considérable distension. C’est presque surnaturel de sentir ou de voir un canal si étroit épouser parfaitement la forme d’un crâne de 35ish centimètres de périmètre, parfois sans la moindre déchirure. Un afflux sanguin et hormonal extraordinaire permet cet exploit, et contribuera à une rapide cicatrisation au besoin. La mère participe de tout son corps à l’expulsion de son petit. Chaque fibre musculaire répond à la tâche spécifique qui lui incombe, que ce soit de se contracter ou de s’étirer, les diaphragmes (diaphragme abdominal et périnée, oui, c’est un diaphragme) se soulèvent pour démouler le contenu de l’utérus vers la sortie (voir mon article à venir sur la poussée pour en comprendre la physiologie). A l’expulsion du placenta, qui assurait jusque là la production de la progestérone et des œstrogènes, la femme tombe en 48h en état de ménopause, jusqu’à ce que les ovaires et autres glandes endocrines reprennent le relais. Pas étonnant que quelques larmes accompagnent cette chute vertigineuse!
Enfin, l’accouchement est en soi un intense bouleversement psychique, même pour une multipare. Les conditions de sa réalisation et l’accompagnement périnatal (avant, pendant, après) vont teinter fortement son impact sur la psyché de la maman.

Alors, comment répondre au mieux aux besoins multidimensionnels de la jeune accouchée?

Chérir le corps

On pourrait écrire un livre sur les suites de couches, celui éponyme de Bernadette de Gasquet place les pratiques traditionnelles en résonance avec les impératifs biologiques de cette période unique. Je vous propose un condensé, fruit de mes lectures, de mon enseignement en yoga postnatal et en accompagnement à la naissance. Je passerai délibérément sur l’allaitement, ce n’est pas la littérature qui manque.

Considérant la contribution inouïe de chaque cellule à la gestation puis à la mise au monde, la récupération doit être holistique, prudente et, surtout, patiente. On ne se remet pas d’une grossesse en six semaines, ni même en trois mois, même si ce « quatrième trimestre » de la grossesse est de plus en plus connu, mais sous l’angle du bébé. Oui, il est encore un fœtus. Et sa mère, sur un plan hormonal si elle allaite, est encore enceinte. Plusieurs estiment que cette période de grande vulnérabilité du corps, occupé à digérer l’impact de la gestation et de l’enfantement, et à nourrir le bébé en cas d’allaitement, dure une à deux années. On retrouve cette durée en yoga, dont les préceptes interdisent tout retour aux positions actives avant neuf mois.

Dès la sortie du placenta, la priorité est d’aider le corps à se refermer après sa spectaculaire ouverture. Les matrones traditionnelles bandent la femme, manœuvre délicate qui encourage la remise en place des articulations. Plus tard, un soin rebozo effectué par des personnes qualifiées, ou un traitement ostéopathique (recommandé dans tous les cas), peut y contribuer. Sur le plan des tissus, la fausse inspiration thoracique va considérablement aider l’involution utérine (si elle est exécutée régulièrement pendant les deux heures qui suivent la naissance, l’utérus peut descendre 7 centimètres plus bas qu’en son absence) en plus de limiter les risques d’hémorragie, de tonifier les abdominaux et le périnée, et d’inciter la vessie à se vider.

Pendant toute la première semaine, la maman ne doit pas quitter son lit à l’exception de ses déplacements à la salle de bain. La priorité est son repos et la mise en route de l’allaitement. Ces premiers jours sont cruciaux pour son avenir gynécologique : tous les ligaments étant encore distendus, les organes sont en suspension libre dans la vaste cavité abdominale, et toute poussée, ne serait-ce que celle exercée par la gravité, pourrait favoriser une descente d’organes dans les années suivantes (tabou très tabou mais très commun). Au Japon, la jeune accouchée ne doit pas porter plus de 700 grammes! Attention à ne pas tricher : couchée, c’est couchée, le plus à plat possible. S’avachir semi-inclinée sur des coussins serait tout à fait délétère. Les tétées devraient donc idéalement se faire en position couchée sur le dos (position biologique) ou sur le côté, un grand coussin en demi-lune est idéal pour ça, notamment pour le cododo en toute sécurité. La récupération sera optimale si cette semaine d’exception est doublée (impératif en cas de césarienne). À défaut, de manière générale, la femme doit passer plus de temps couchée que debout pendant les six premières semaines. Dans le lit, des mobilisations fréquentes des jambes (flexion/extension, rotation des chevilles) limiteront les risques de thrombose, pas nuls à cette période si sensible.

L’alimentation doit être riche et variée, viser le drainage des liquides devenus excédentaires après l’accouchement, la destruction et la réparation des tissus : beaucoup de liquides (tisanes d’ortie et d’avoine par exemple, reminéralisantes) et de plats chauds pour encourager la sudation naturelle, beaucoup de protéines, de la vitamine C pour la cicatrisation, des aliments réconfortants et riches en nutriments essentiels. Ce n’est pas le temps de manger des salades, même en plein été! Et encore moins de se serrer la ceinture. La maman devrait se nourrir toutes les trois heures environ, et boire deux à trois litres de liquides pour faciliter l’élimination et l’allaitement. La réalité est bien souvent autre : pour ne pas manger deux rôties au beurre d’arachides sur un coin de comptoir avec le bébé dans les bras et le ventre poussé vers l’avant, il faut remplir le congélateur avant la naissance et ne pas hésiter à solliciter la visite pour qu’elle se rende utile avec un tupperware de soupe! Osez demander, saisissez la perche qu’on vous tend si vous lisez « n’hésitez pas si vous avez besoin d’aide », les gens seront ravis de vous rendre ce service, croyez-moi. Il est de notre responsabilité à tous de recréer ce village autour de nos enfants et de leurs parents, dont on déplore trop souvent la disparition.

Le périnée doit être travaillé sans attendre, dès la sortie du placenta! Il est d’ailleurs très réactif à ce moment-là. Je recommande 100 à 200 contractions (Kegel) par jour, le plus simple est d’en faire au moins une dizaine par tétée. Peu à peu, la sensibilité et le tonus reviennent. La fausse inspiration thoracique est là encore un exercice de choix à faire sans modération. Un traitement interne en ostéopathie (Anie Lafrance est merveilleuse pour ça et en général), dès que vous le sentirez (à la fin des lochies par exemple), va permettre de défaire les tensions accumulées pendant la naissance, de dissoudre les douleurs résiduelles, et de diriger vos efforts de contraction dans le bon sens. Jusqu’à quand travailler le périnée? Jusqu’à votre mort.

Pendant ces six semaines, délai de cicatrisation de l’utérus, la maman doit limiter tout effort aux indispensables liés à la vie de famille (je ne parle pas de faire l’épicerie ou de porter la redoutable coquille de plomb d’une main mais de donner des bains et de raconter des histoires aux aînés) en contractant le périnée et en plaçant le bassin en rétroversion. Le port d’une ceinture basse de type physiomat (ou un foulard très serré) est très indiqué pour limiter la pression sur les organes du petit bassin et le périnée, et pour garder la bascule du bassin. Attention au porte-bébé sur des abdos inexistants : le dos est par là même extrêmement fragile, et mis pourtant à rude épreuve avec le portage (surtout en avant, seule option à cet âge sauf si vous avez grandi dans la brousse burkinabé) et l’allaitement. Avec le périnée, les abdos, à faire en hypopression et isométrie comme expliqué dans cette vidéo ou dans les excellents livres de notre Bernadette, sont une priorité pour retrouver un gainage protecteur. Vers 6-8 semaines, intégrer un cours de yoga postnatal en s’assurant d’abord du bagage de votre professeur (j’insiste lourdement sur ce point. Une remise en forme qui contourne les besoins physiologiques spécifiques de cette période, de type cardiopoussette, sauts, danse avec un enfant en porte-bébé sont fortement déconseillés avant au moins 6 mois, voire 9 ou 12 mois selon que la maman aura suivi ou non les conseils susmentionnés) peut être une bonne idée pour connaître les mouvements à faire et ceux proscrits, et pour socialiser. Graduellement, la maman pourra augmenter son niveau d’activité, tout en restant consciente du climat hormonal bien particulier de l’allaitement, qui maintient ses muscles et ses ligaments en hypotonie, alors même que le bébé, lui, gagne en poids et en énergie! Le retour de couches signera le début d’une nouvelle ère physiologique, mais ce n’est qu’après le sevrage complet + quelques semaines que la femme retrouve son profil pré-grossesse (je ne parle pas ici d’allure mais de fonctionnement corporel) et son plein tonus musculaire.

Nourrir le cœur

J’éluderai le cas des accouchements traumatisants dont la prise en charge post-partum demande encore plus de soin, d’empathie et de délicatesse, j’y ai déjà consacré un article. Précisons tout de même que la difficulté à absorber cette expérience intense ne dépend pas de son déroulement objectif, et certainement pas de sa durée. J’ai assisté à des accouchements-marathons et à des accouchements fortement médicalisés qui ont comblé les parents. Et à des accouchements rapides qui ont profondément choqué la chair et le couple. Quelque part, l’accouchement représente toujours une forme de trauma physique et psychique, même lorsqu’il se déroule au mieux, en accord avec les attentes et les valeurs des parents. En quelques heures, on change de monde, particulièrement pour un premier bébé qui impose un véritable rite de passage, mais aussi pour les suivants qui vont forcer toute la famille à s’adapter à eux. On abandonne un état corporel auquel on s’était habitué mais aussi l’état mental qui accompagnait cette attente, état fait de projections, de représentations du bébé à venir. Richard Desjardins décrit magnifiquement ce passage dans Nataq. En quelques minutes, la bedaine scrutée et fièrement portée pendant neuf mois se vide, la femme enceinte devient la mère de cet enfant, dont la matérialité peut sembler irréelle tout en étant on ne peut plus concrète…il faut s’adapter très rapidement à ce petit être vagissant plein de besoins, à un nouvel équilibre conjugal et familial qui se fera probablement par à-coups et non sans défis.

La rencontre avec le bébé en chair et en os peut être perturbante, parfois décevante. On n’a pas le temps de se remettre de ses émotions de l’accouchement, peut-être même de la grossesse qui en est lourdement chargée, il faut tasser tout ça de côté, pour plus tard même si ce plus tard ne viendra peut-être jamais, pour vite tout donner à cet être immature. D’où l’importance d’offrir à la jeune maman des temps de parole et d’écoute, sans jugement, pour qu’elle puisse revenir sur son expérience à elle, en tant que femme, en tant que mère, autant qu’elle en aura besoin. Entre les lignes de la durée du travail et du degré de déchirure se cachent tout un paquet de ressentis, de pensées, qui seront heureux de sortir à l’air libre si on leur ouvre la porte. Les sages-femmes sont merveilleuses pour ça, parfaits témoins et parfois actrices de l’événement, elles sont encore là au fil des jours pour revenir autant que nécessaire sur ce qui se sera joué. Le suivi médical dans sa discontinuité de personnes est bien insuffisant.

Votre amie a accouché récemment? Allez la voir avec un (ou des) petit(s) plat(s), quitte à le(s) déposer sur la galerie sans rentrer si ce n’est pas opportun. Ne restez pas longtemps. Félicitez-la sur sa bonne mine et son corps avec lequel elle a peut-être du mal à copiner. On a besoin d’être regardée comme femme, d’être rassurée parfois, complimentée toujours. Extasiez-vous bien sûr sur le nécessairement splendide enfançon. Mais surtout, écoutez-la. Un simple « alors? » peut suffire à ouvrir les vannes. Bonus : si elle a déjà des enfants, proposez-lui un coup de main la fin de semaine; et profitez de votre passage pour plier l’une des 682651 corbeilles de linge propre. Si vous êtes intime, offrez-lui de refaire son lit, elle va adorer se retrouver dans des draps propres, partez une brassée, donnez un coup dans la cuisine. Elle va se sentir chouchoutée, entourée, aimée.

Passée la lune de miel des premiers jours, il se peut que le moral soit vacillant. C’est possible qu’on ne sente pas tout de suite débordant d’amour pour ce petit être fripé. Réaliser d’un coup l’immense responsabilité qui vient avec sa mise en monde peut être extrêmement angoissant. On peut avoir des idées noires, des pensées intrusives à se sentir investie du devoir de faire vivre ce bébé si vulnérable et complètement dépendant de notre bon vouloir. C’est correct, et ça passera, surtout avec le retour du sommeil (oui oui, il reviendra, croyez-moi). Si ça ne passe pas, que le moral est durablement en berne, appelez le CLSC.

Surtout, il faut se donner du temps. Pour mon premier, ça m’a pris presque deux ans pour accepter les deuils que la parentalité nous fait vivre, pour accepter de devoir donner même ce que nous n’avons pas reçu, et pour le faire avec grâce. Nous sommes choyés au Québec de pouvoir bénéficier d’un congé parental si long. En France, les mamans reprennent le travail avant les trois mois du bébé…alors que le corps et le cœur sont encore si fortement imprégnés de cette arrivée. Je leur tire mon chapeau, et ma langue aux décideurs qui ne comprennent rien aux besoins des enfants, des femmes, des couples, et de la société tout entière, car la manière dont nous accompagnons la mise au monde puis la croissance des familles reflète l’importance que nous accordons à l’humain.