Nataq- la naissance comme salut

J’ai eu la chance d’être introduite au Québec par un de ses meilleurs représentants, Richard Desjardins, par l’intermédiaire d’amis décidés à me faire traverser l’Atlantique – ça a marché. Fortement imprégné de sa culture ouvrière d’origine, cinéaste, auteur-compositeur, chanteur et militant acharné, Richard Desjardins défend avec un parler coloré les petites gens, les minorités, les oubliés de la croissance, les désastres écologiques et les marginaux. J’entends dans ses chants, qui sont tous des hymnes, des pamphlets ou des contes, une ode à l’identité québécoise et une incitation à vivre debout. Il y a du Speak White de Michelle Lalonde dans sa geste verbale. Dans Nataq1 il raconte sur le registre épique la grande traversée de l’Atlantique par le détroit de Béring par les premiers autochtones, il y a 12000 ans. Cette épopée se lit en trame de fond de l’histoire individuelle d’une jeune femme enceinte, que l’imminence de la naissance va pousser à exhorter son mari et sa tribu à chercher le salut au-delà des mers.

Chanson d’amour, de naissance et de migration, Nataq m’a accompagnée dans mes propres histoires d’amour, de naissance et de migration. Les notes de Desjardins ont résonné de Marseille à Montréal, jusque sur la banquette arrière de notre auto, où je prenais mes premières contractions du travail qui me rendrait mère pour la première fois. Pour cet article, je m’y suis plongée avec délices, décortiquant ce que ses mots portent d’universel et de reliant pour les femmes d’aujourd’hui.

https://www.youtube.com/watch?v=gH4R43ZhSbc

(pour les paroles, c’est ici)

Nataq est une requête : celle qu’une femme amoureuse et à la veille d’accoucher fait instamment à son homme, chef de bande et valeureux guerrier, pour qu’il la suive dans son intuition de fuir la misère et la mort pour gagner des contrées lointaines plus propices, où la tribu et sa descendance pourront vivre. L’architecture du texte se structure en oppositions : une opposition sexuée entre les deux héros, la narratrice et son amoureux, décrits dans les deux premières strophes puis en filigrane du texte; une opposition spatio-temporelle entre le lieu présent, imprégné du passé et caractérisé par la mort, et le lieu futur, rêvé, caractérisé par la vie. Cette dernière opposition se manifeste par une série de contrastes qui déroulent le fil de l’histoire :

  • les strophes 3 à 7 situent le présent en Asie. Un climat hostile, inquiétant, mortifère, une atmosphère d’apocalypse et de perdition règnent. C’est l’hiver, la nuit, au bord d’une falaise, dans un camp fermé, que menacent des troupes ennemies et un chamane traître.
  • la huitième strophe amène une rupture, une transition, par l’imagination de la femme qui persiste à voir de l’espoir, notamment dans l’amour et le fruit de cet amour, l’enfant à venir, dont dépend la perpétuation de l’espèce. Elle se dit mourante mais sur le point de renaître, pleine d’un désir de vie, de changement de lieu. C’est le passage vers le Nouveau Monde, la traversée des océans, l’arrivée en Amérique par le détroit de Béring.
  • les strophes 9 à 12 dépeignent l’univers rêvé par la femme : lumière, nourriture, chaleur, eau y abondent, les conditions sont beaucoup plus clémentes et rassurantes pour que le couple puisse s’épanouir et se compléter. L’accouchement pourra avoir lieu, maintenant que la femme est en sécurité, dans un abri favorable à sa guérison : celle des douleurs et des possibles plaies de l’enfantement, mais aussi des douleurs subies dans le morbide camp. C’est la délivrance, des oppresseurs passés, de la grossesse, de l’épreuve de l’accouchement.
  • une deuxième rupture opère dans les strophes 13 et 14 : le refus du passé par la femme qui veut rester dans le nouveau monde, y fonder sa propre lignée. La mère, guerrière, se dresse pour défendre ses acquis et son enfant : elle retourne à la mer/mère. Elle s’affirme dans sa nouvelle identité. « La mémoire brûlée », elle renie son passé douloureux et les lois qui l’entravaient.
Photograph 052 by Lauren Mancke found on minimography.com

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  • enfin, dans les dernières strophes, agissant comme une révélation qui éclaire en rétrospective toute l’épopée, l’auditeur reçoit confirmation que la narratrice est enceinte, sur le bord d’accoucher. L’appel de l’avenir, de la vie, est irrésistible. La femme a besoin de l’apport masculin pour donner naissance : le feu des contractions, qui est aussi celui, réel, qui conditionne la survie de la tribu et qui nécessite du bois, donc une terre plus hospitalière que celle, lugubre et stérile, qu’ils cherchent à quitter. Il y a donc concomitance entre le départ vers le nouveau monde, la traversée physique de l’océan, et l’accouchement, qui offrira union, paix, confort et liberté.

Texte et musique s’entremêlent et se renforcent mutuellement dans une envolée dramatique très forte : le piano amène, soutient et optimise le crescendo émotionnel suscité par les paroles.

Cette longue fable est émaillée de références mythologiques et anthropologiques qui nourrissent deux axes : celui de la maternité comme initiation, voyage transitionnel ponctué de renoncements pour qu’émerge avec l’enfant la nouveauté, qui propulsera sa mère et les siens dans une autre réalité, ainsi que les forts enjeux relationnels qui y sont associés.

La maternité se prête particulièrement bien à une initiation: surgie du défi que représente une situation nouvelle, requérant des aptitudes pas encore acquises mais que le passage à travers des épreuves souvent hautement symboliques conférera en même temps qu’une affirmation identitaire et qu’un nouveau statut, l’épreuve initiatique confronte la personne dans son être (pour soi et au monde), va provoquer sa transformation individuelle, et son admission dans un nouveau groupe de pairs.

L’état transitoire unique de la gestation, par essence inconfortable car instable et nouveau, impose des renoncements et force à la maturation. La fille meurt pour faire naître la mère, tel est aussi le cas de notre héroïne, qui entrevoit clairement sa mort dans les premières strophes, où elle est prête, par amour, à se donner en sacrifice aux Dieux, avant de se ressaisir et de préférer la fuite ou le suicide (« s’il me faut retourner je retourne à la mer »). En insérant dans son discours des images de sa propre disparition (elle imagine ses funérailles puis celles de son couple, insiste avec le pléonasme « je meurs de mourir »), la narratrice vient accroître l’impact de son message sur son destinataire, mais révèle aussi la mort qui conditionne sa mue, et qui accompagne de si près les mères, qui en donnant naissance s’exposent aussi à la perte de l’enfant chéri. Être mère c’est vivre la perte, le deuil, savoir laisser aller son enfant (Xavier Dolan en fait le thème central de Mommy). Mais la peur est une alliée de la vie car elle la nourrit, la stimule, et après l’état de léthargie, d’angoisse, de solitude et de deuils qu’elle peut nous faire vivre dans la crise existentielle qu’est la maternité, elle annonce le renouveau et pousse la future maman à agir : à se mobiliser entièrement pour accoucher, et à se consacrer intégralement aux soins de son enfant.

Cet entre-deux inconfortable mais ô combien fécond de l’initiation permet la jonction entre deux réalités : deux statuts identitaires, de la fille à la mère, mais aussi deux mondes, au sens littéral, dans Nataq. Le passage symbolique, le pont de vie entre le passé de la femme et l’avenir de la mère et de son bébé qu’est l’accouchement est aussi physique, et même si les reconstitutions archéologiques devinent une traversée pédestre du détroit de Béring, la chanson nous parle d’une traversée maritime, rendant l’élément eau encore plus omniprésent dans le texte (l’eau qui étanche la soif, l’eau dans laquelle on se baigne, l’eau qui permet la survie de l’enfant et de la jeune accouchée, le liquide amniotique, la mer/mère dans son homophonie).

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La grossesse est une parenthèse entre la femme d’avant et la mère qui va être là, que la naissance referme. C’est une période extraordinaire qui rend sensible à la fluctuation de la temporalité, et se prête donc plus particulièrement à l’onirisme. Les rêves sont d’ailleurs très vivaces pendant la grossesse, et leur souvenir peut se prolonger pendant des heures, des jours ou des mois. La femme de Nataq se projette dans un futur idéalisé, et l’imminence de la naissance provoque son sursaut : elle se rebiffe, refuse la mort, et s’accroche à l’espoir d’un renouveau, qu’amènerait cet enfant. « oui nous sommes perdus mais encore vivants, « moi je dis que là-bas il y a des roseaux , allons voir, allons-voir, je devine des îles ». Cette thématique du voyage, du cheminement est manifeste dans la chanson, qui dessine cet ailleurs, entre deux états, deux statuts, deux terres, deux continents (« attachons les épaves aux vessies des baleines », « traversons, traversons, amenons qui le veut »). La femme enceinte est en transit, mue par une force de mouvement, de renouveau (usage de l’impératif).

De ces épreuves émerge la nouveauté, la vie dans son éternel recommencement et dans l’avenir qu’elle propose. L’enfant est le médiateur de cette quête/conquête, qui fera basculer la femme et son groupe dans une nouvelle réalité: l’accouchement est une crise au service de la relation, l’enfant fait sa mère dans la relation qu’il la pousse à établir avec lui. Sa gestation emmène sa mère dans un considérable processus de développement personnel et de transformation intérieure, il la pousse à prendre des décisions pour leurs deux vies et celles de leurs proches, il lui donne le courage nécessaire pour s’assumer et impulser le changement. Avoir un enfant, c’est être sans cesse invitée à se dépasser, à écraser ses résistances pour aller plus loin. C’est personnellement ce qui m’a incitée à franchir le pas de la maternité : je voulais sortir de manière irréversible et permanente de ma zone de confort, vivre au quotidien avec un puissant moteur de progrès humain.

Le contexte de l’accouchement a besoin d’être dans un environnement sécurisant, protecteur, qui joue le rôle de matrice pour la mère qui met au monde. L’enfant pousse sa mère à chercher un abri où la vie pourra se déployer . La future mère dans Nataq envisage son accouchement avec une certaine passivité, comme s’il était mu par une force intérieure, celle de son enfant joint à celle du géniteur (« mon ventre veut fendre », « pour accoucher la fille et fermer sa blessure », « il me faudra du feu »). Elle subit cet acte naturel, instinctif, inévitable.

La narration présente de nombreux aspects guerriers. C’est une lutte pour la survie, tout comme la naissance est une lutte pour la vie, une victoire sur la mort et l’absence de traces et apporte avec elle des enjeux de pouvoir: avoir une descendance, c’est avoir de l’ascendance car c’est déjouer la mort et l’extinction de la race en se prolongeant dans ses enfants. L’accouchement/l’enfant poussent à préserver son espace : à sortir la louve, à se battre, à défendre son enfant, sa tribu (« je ne retourne pas sur les lieux anciens », « le flambeau à la main s’il me faut retourner je retourne à la mer »). Il faut également gérer les zones d’influence entre l’extérieur et l’intérieur : « nous irons frayer aux savanes intérieures », refuge de l’amour physique, union intime, « je n’accepterai pas que l’un d’eux me ramène – où j’ai pleuré du sable et mangé des racines». Les enjeux de frontières, symboliques entre les générations bousculées par une première naissance, sont ici également géographiques, puisque la naissance de ce premier-né correspond à la migration définitive de son peuple. Enfin, la naissance mobilise toutes nos ressources, nous force à trouver des alliés : l’homme, l’amoureux, le duo complémentaire « que je hurle ta joie que tu craches mon cœur », « aime-moi ! Aide-moi ! ». La thématique de l’union sexuelle et de la complémentarité des sexes revient souvent, jusqu’à l’accouchement, qui nécessite le feu de l’homme dans les contractions, qui rompt la plénitude de la femme. Dans Nataq, la naissance permet l’avènement d’une nouvelle ère, d’un nouveau pays : « ouvre les yeux et vois cette nuée d’oiseaux», « je devine des îles », « où le jour se lève, me nourrit et se couche… ». Incitant sa mère et ses ascendants à fuir le danger, l’enfant sauve toute la tribu.

La maternité est une expérience profondément reliante, que les rapprochements et les mises à distance souhaités soient effectifs ou non. Des affinités avec le matériel mythologique et avec l’Histoire en font une expérience universelle et transcendante. Je fais l’hypothèse que c’est ce qui nous rend, enceintes puis mères, particulièrement sensibles aux situations de détresse humaine car on hérite d’un puissant dénominateur commun à toutes les femmes : la maternité et l’ouragan émotionnel qu’elle transporte.

On note une forte présence de la spiritualité dans Nataq. La narratrice lie son destin singulier à celui de sa tribu : sa quête d’un abri sûr pour donner naissance à son fils est le moteur de la migration et profite à son groupe qui fuit la mort. Desjardins a repris des éléments typiques des mythes amérindiens : fille de la mère-terre, corps relié au cosmos . L’univers dépeint est très minéral et végétal. La femme enceinte est dépositaire d’un certain rapport à l’origine : une plénitude océanique dont on serait tous nostalgiques, une quête originelle infinie, une dimension première, ce qu’évoque la narratrice : « j’ai mémoire des eaux où je me suis baignée ». La grossesse de la femme ferait donc résonner en elle sa propre gestation. Dans Nataq, la naissance est éclatante, elle survient en harmonie avec les éléments qui la célèbrent : « et quand éclatera la lune d’abondance (l’été), des orages de fruits pour que vive ton fils ». La femme cherche la symbiose avec la nature, et l’obtient dans la mise au monde. Plusieurs auteurs ont souligné l’analogie entre les mythes de création et la maternité, ici le mythe amérindien de fondation, lors de la traversée de Béring il y a 12 000, est imbriqué dans le destin singulier d’un couple à l’aube de devenir parents.

NATAQ

Au-delà de cette dimension mystique, universelle, mythologique, la naissance correspond à une inscription dans une lignée et réorganise les liens mère-fille. Chantale Proulx développe longuement cette affinité dans Filles de Démeter2 et souligne à quel point « le fantôme de la mère est toujours présent à l’accouchement. La mère de la femme en travail est, en tout cas, pour le meilleur et pour le pire, vivante ou morte, un fantôme puissant dans la chambre de naissance»3 . Je le constate à chaque accompagnement et ne manque pas d’interroger à plusieurs reprises ma cliente sur ses liens avec sa mère, la transmission qui est en train de se faire -ou pas- de l’héritage maternel et du vécu de l’accouchement, ainsi que sur la manière dont celle-ci a accouché de son premier enfant ou d’elle si elle n’est pas l’aînée. Je suis toujours stupéfaite de constater la répétition des scénarios de naissance d’une génération à l’autre (et je serai curieuse de pouvoir remonter encore dans le temps même si les pratiques ont considérablement changé et donc influencé immensément la manière dont les femmes accouchent). La femme enceinte a soif de sa mère et si elle ne peut l’étancher avec celle-ci, inaccessible, disparue ou indisponible, elle va rechercher d’autres figures pour se faire materner. L’héroïne de Nataq vit le même élan : « je retourne à la mer ». La récurrence du vocabulaire aquatique dans toute la chanson symbolise l’omniprésence du thème maternel : la fille qui devient mère, la mère de la fille, il s’agit à la fois « des eaux » amniotiques (perdre les eaux, « les eaux où je me suis baignée »), des eaux troubles, secrètes qui symbolisent le féminin, mais aussi les eaux où je peux me baigner comme femme et comme mère, parmi mes pairs : la lignée féminine, la mer inconnue qui annonce le salut. La mer/mère est le passage : la mère de la narratrice comme soutien psychique, que sa fille retourne voir pour accoucher, la narratrice comme mère : elle retourne au rivage, à sa volonté de fuir dans la perspective de donner naissance et de se donner naissance en même temps comme mère. Nous avons donc un triple passage : de cette femme en mère, de cet enfant, de cette tribu d’Asie en Amérique.

La maternité s’impose toujours comme une initiation, un rite de passage. Aux femmes d’en prendre la pleine mesure et d’en perpétuer auprès de leurs filles la solennité et les enjeux. La naissance d’un enfant « scinde la biographie »4 et secoue les générations, elle amène son lot de promesses et de révolutions. L’expérience de la grossesse, de l’accouchement et de la parentalité relie les époques, les lieux, les hommes et les femmes. Elle se prête à un fort investissement mythologique et spirituel, et elle est l’occasion de renouveler les relations entre mères et filles. Nataq emprunte tous ces chemins à la fois en les enveloppant de poésie. D’autres thèmes sont présents et questionnants : l’héritage ambigu de cette femme à l’aube de devenir mère et de choisir ses sources d’inspiration, une drôle de dynamique de genres entre les deux amoureux, et enfin le fait de présenter l’accouchement comme une vraie rupture plutôt que comme une étape d’un continuum.

L’héroïne de Nataq renie son passé, synonyme de lutte, de menace, de stagnation, de lois guerrières conservatrices et asservissantes pour cette femme et pour la survie de l’espèce: ses Dieux veulent la sacrifier, l’immoler. Elle se débat  et s’enfuit, emmenant sa tribu avec elle. « Je n’accepterai pas que l’un d’eux me ramène », « Je ne retourne pas sur les lieux des anciens ». Elle rejette donc son patrimoine physique et moral pour préférer s’inscrire dans le futur : « je suis jeune, Nataq, comme un faon dans l’aurore , et la vie veut de moi et voudrait que tu viennes ». Mais il y a en même temps permanence et revendication du lien maternel comme ressource : « j’ai mémoire des eaux où je me suis baignée », « s’il me faut retourner je retourne à la mer ». La filiation est chère à ses yeux, elle offre son enfant, qu’elle ne nomme jamais comme tel, à son père : « pour que vive ton fils ». Le choix de Desjardins de donner le sexe masculin à cet enfant fictif est intéressant. De tout temps, les fils perpétuent la filiation en portant le nom du père. La femme de la chanson porte un enfant pour son amoureux, pour la tribu, elle semble en n’être que le vaisseau, les eaux sur lesquelles navigue cet enfant vers son destin. La mère s’efface devant l’avenir de l’enfant.

Les rapports homme-femme ne sont pas plus clairs. La narratrice commence par interpeller le chef de bande, dont elle est amoureuse et dont elle loue les qualités guerrières, pour obtenir son concours, mais c’est elle qui dirige la fuite du groupe et assure donc sa survie. Elle prend les rennes de sa vie, de celle de son enfant, et de celle de sa tribu. Elle refuse les règles guerrières du patriarcat pour valoriser la maternité. Elle exige, elle impose. Savoir que plusieurs Premières Nations étaient des sociétés matriarcales peut lever cette ambiguïté : chez les Iroquois, les femmes étaient propriétaires de la terre, responsables de l’éducation des enfants, et avaient un droit de vie ou de mort sur les prisonniers. Les mères étaient au-dessus de tous5 . Dans Nataq, l’héroïne, si elle prend la direction de son groupe, loue aussi l’union des deux sexes, source d’harmonie, de symbiose, et de vie.

Enfin, la question qui me semble présenter le plus d’intérêt est celle de la place de l’accouchement dans la trajectoire de la femme en devenir. Est-ce réellement un point de rupture, de scission pour la femme et sa famille ? Dans ce conte, oui. Il permet une rupture avec un état d’asservissement mortifère, il délivre la mère et sa tribu. Un nouvel être humain est venu au monde. Je le vois plutôt comme le climax d’un continuum maternel, d’un parcours psychologique aux bornes floues : préconception, grossesse, accouchement, puis un postnatal qui ne finit jamais. Toutefois, même si la rupture psychologique n’est pas si tranchée puisque l’accouchement s’inscrit dans un cycle long, il occasionne, de par la nature de l’épreuve qu’il impose, une forte rupture symbolique : c’est une épreuve universelle, qui convoque la transcendance, c’est un rite social, une forme d’adoubement de la jeune mère dans son groupe de pairs, encore aujourd’hui où certains milieux revalorisent ce passage, se le réapproprient.

1Album « Tu m’aimes-tu », 1990
2Proulx, Chantale, filles de Demeter, éditions GGC, Sherbrooke, 2010
3ibid p.103
4ibid p.237
5« Article 44 de la constitution iroquoise : » La descendance se fait par le lien maternel. Les femmes sont la source de la Nation, elles possèdent le pays et sa terre. Les hommes et les femmes sont d’un rang inférieur à celui des mères » (source)