Entreprendre le chemin de la naissance, ou plutôt accepter de prêter notre corps aux forces inouïes de la nature pour que notre enfant vienne au monde est une expérience qu’on aborde toujours un peu à l’aveuglette, quels que soient les savoirs engloutis voracement pendant la grossesse et même le nombre d’enfants à notre actif. Se faire passage nécessite un abandon, un aveu d’ignorance sur l’issue de l’événement. S’il est vrai qu’ultimement, le plus important est, comme le répète à l’envi le monde obstétrical, « une maman et un bébé en santé », cette priorité masque une dimension fondamentale de l’expérience : le vécu de la maman. Et celui-ci n’est pas nécessairement en relation avec les données objectives que l’on partage souvent volontiers après la tempête, comme un paravent pour ne pas nous livrer trop intimement : la durée du travail, le nombre d’interventions, notamment le recours ou pas à l’analgésie péridurale, éventuellement l’état de notre périnée, aux plus proches. Peu de mamans témoignent de ce qu’elles ont vécu au fond d’elles-mêmes, alors que tout elles-mêmes, corps, psyché et coeur, était entièrement mobilisé pour faire naître leur petit.
Il en reste des traces, nécessairement. Des études ont montré que le degré de satisfaction des mères suite à l’accouchement n’était pas tant corrélé au nombre d’interventions subies qu’au sentiment de puissance qu’elles ont pu vivre pendant le travail. Et ce sentiment peut être actif, porteur et surtout protecteur à long terme de l’estime voire de l’identité de la maman malgré une série de mesures technologiques et instrumentales, si les gestes sont posés dans le respect du libre-arbitre de la mère. À l’inverse, certaines vivent un accouchement absolument physiologique, mais très violent, car dévastant un terrain psychique fragile, et/ou ayant lieu dans la solitude ou entouré de personnes aux comportements inadéquats.
Pour ces femmes à l’expérience maternelle douloureuse, un processus de guérison doit s’enclencher, pour protéger la relation avec le nouveau-né et les naissances ultérieures (éventuellement, les permettre!) mais surtout pour restaurer un équilibre de la personne dans tout son être.
Je n’aurai pas la prétention de me poser ici en psychothérapeute, sûrement pas. Mais mon expérience personnelle et professionnelle m’ont fait entrevoir quelques pistes à exploiter, qui s’enchevêtrent parfois ou s’empruntent dans un ordre déroutant. Ce sont des outils parmi bien d’autres, qui vous conviendront ou pas.
- comprendre
Cette étape, toutefois, s’impose au début du chemin. Il n’y a pas de guérison à mon avis tant que toute la lumière possible n’a pu être faite sur les événements vécus. Le ressenti de la mère, dans une tornade d’hormones et parfois dans la précipitation de l’action, peut lui avoir occulté une bonne partie des faits. Les professionnels de l’obstétrique, médecins, gynécos et sages-femmes, exercent leur métier selon une logique professionnelle qui est souvent opaque pour les patients, tout entiers absorbés par leur expérience et ignorants les codes de la pratique, le contexte ce jour-là, les risques entrevus et les choix faits.
Demander une copie de son dossier au lieu de naissance est un bon point de départ, et sa lecture occasionne toujours quelques exclamations chez les parents, notamment chez la mère qui avait perdu la notion du temps.
Reparler aux personnes présentes, si c’est possible, peut grandement aider lorsque les interactions personnelles sont en cause dans le trauma, ou si le dossier médical s’avère peu bavard. Tous les professionnels devraient être en mesure de vous rencontrer si vous le désirez.
- S’approprier son accouchement
Comme doula, je recommande toujours chaudement aux mamans de mettre rapidement par écrit ce qu’elles ont vécu. Le postnatal est une période très exigeante où le manque de sommeil peut nous griller les dernières neurones qui nous restent, et les demandes de notre nouveau petit tyran domestique peuvent reléguer nos mémoires d’accouchement dans un racoin de notre être où il n’est pas sain de les enterrer. Cette démarche d’écriture va probablement raviver des douleurs et faire couler des larmes, et c’est bon signe : tout ce qui sort ne vous empoisonnera plus de l’intérieur, et c’est l’occasion d’avoir la plus grande compassion possible envers vous-même, de vous prendre virtuellement dans vos bras pour vous offrir le câlin le plus réconfortant qui soit. Vous seule savez l’intensité de votre douleur, et donc de votre besoin de chaleur et de douceur.
Je parle aussi aux mamans des tentes rouges, ces rassemblements de femmes, ponctuels, organisés par des groupes de soutien maternels comme le groupe MAMAN ou par des accompagnantes à la naissance expérimentées, au cours desquels elles sont invitées à partager leur expérience ou simplement à écouter celles des autres. Et croyez-moi, ça met en perspective ce qu’on a vécu, et ça fait un bien fou : de sentir que nous ne sommes pas seules, que nous pouvons nous rejoindre dans notre humanité de femme, dans nos blessures et notre rage, que nous pouvons communier par nos expériences de naissances quelles qu’elles soient. Ces espaces d’écoute et d’entraide sont guidés par des femmes de coeur qui veillent à ce qu’aucun jugement ne soit porté.
- Se libérer émotionnellement
Il arrive un moment où la parole ne suffit plus, où les larmes qui jaillissent à chaque fois ne remplissent plus leur fonction libératoire et entretiennent plutôt le chagrin et le constat d’enlisement dans une histoire dont on ne finit plus de faire le deuil. Si c’est votre cas, à cette étape, une libération des émotions manifestement toujours inscrites en vous vous permettrait de tourner enfin la page pour ne garder que le meilleur de cette douloureuse expérience. Là, la technique EMDR, pour Eye Movement Desensitization and Reprocessing (Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires) peut vous être très utile. La méthode a d’abord été fait ses preuves avec des vétérans de la guerre, avant de s’étendre à d’autres publics, et elle est maintenant reconnue par l’OMS, signe à mes yeux de sa fiabilité. Des thérapeutes de diverses obédiences peuvent s’y former, je vous suggère toutefois d’avoir recours à un psychologue qualifié, qui disposera d’un gros bagage thérapeutique pour vous accompagner.
Une des caractéristiques de cette technique est sa rapidité : en deux ou trois séances, ça peut être réglé, et vous n’avez pas besoin d’exposer au praticien vos reliquats d’enfance encore indigestes ou vos cauchemars de la nuit dernière! La première séance vise à contextualiser votre trauma et à vous exposer le déroulement de la prochaine séance, au cours de laquelle vous allez reparler de l’expérience traumatique en détaillant très précisément et avec tous vos sens le souvenir le plus douloureux, celui qui déclenche le plus de détresse en vous. Après cet exposé pénible, je ne vous le cache pas, car oui, il faut être prêt à revivre toute cette douleur, vous allez suivre des yeux les mouvements de main de votre thérapeute, qui va les faire aller de droite à gauche, ou écouter un petit signal sonore qui bipera d’une oreille à l’autre si on vous a coiffée d’un casque. Là…suspense, vous passerez vingt minutes à vous demander ce que vous êtes supposée ressentir ou penser! Il vous suffit de vous laisser aller à ce qui est là, votre cerveau s’occupe pour vous de vous purger de vos souffrances en se « reprogrammant » (ne me demandez pas comment). À la séance d’après, même protocole : on reparle du trauma, on fait bouger nos yeux ou on écoute les sons. Déjà, vous constaterez sûrement que l’évocation de la scène la plus pénible déclenche beaucoup moins de détresse en vous, voire plus du tout. Et en quelques séances, vous vous sentirez émotionnellement détachée de ce qui a été vécu, vous serez capable de reparler de votre accouchement avec une distance qui vous surprendra. Testé et approuvé!
- Intégrer
Maintenant que vous avez compris ce qui s’est passé, que vous en avez témoigné, et que vous avez évacué l’émotion négative liée au trauma, vous serez bien mieux disposée à faire la paix avec cet événement majeur de votre vie pour le laisser la structurer positivement. Quelle qu’en soit le déroulement, cette naissance a fait de vous la mère de cet enfant-là, unique, dans toute sa résilience et sa puissance. Vous pouvez être immensément fière de tout le chemin parcouru, et vous êtes la seule dépositaire de son récit. Enfin, accoucher de nouveau est parfois l’ultime brique à poser sur le tombeau de vos regrets et souffrances!