
Si vous lisez cet article, c’est que vous avez déjà sondé vos motivations à pratiquer le yoga chez vous, et que vous êtes convaincu.es de ses innombrables bienfaits sur votre santé mentale et physique. Vous avez compris que les cours en studio étaient une invitation à le faire et un accompagnement intéressant, et non une fin en soi. Vous êtes maintenant déterminé.es à inclure le yoga dans votre quotidien, mais vous n’avez encore jamais réussi à en faire une habitude aussi ancrée que celle de boire un liquide chaud dans une tasse tous les matins. J’ai déjà écrit un article pour vous encourager à établir votre pratique personnelle. En m’inspirant des principes neuro-psycho-sociologiques qui conditionnent l’établissement de toute habitude, bonne ou mauvaise, que James Clear expose dans Atomic Habits (un rien peut tout changer), je vous livre dans celui-ci les trucs imparables pour devenir une groupie de votre tapis!
1. Intégrez le yoga à votre identité et non à vos objectifs
Que vous ayez découvert le yoga il y a dix ans ou la semaine dernière, que vous soyez en pyjama ou en legging siglé oméga, que vous pratiquiez dans votre lit ou sur un tapis antidérapant en liège recyclé et équitable, vous êtes un yogi ou une yogini! Quand j’ai commencé le piano, me considérer comme pianiste me paraissait saugrenu car présomptueux. Jusqu’à ce qu’une collègue m’y pousse : on fait du piano, on est des pianistes. La pratique devient tout de suite plus gratifiante!
Testé et approuvé scientifiquement : le moyen le plus efficace de changer ses habitudes n’est pas de se concentrer sur les résultats à atteindre mais sur la personne qu’on souhaite devenir. C’est précisément le but ultime du yoga : changer nos croyances sur nous-même pour s’habiter plus joyeusement. Si vous résistez à cette autosuggestion, essayez « je suis quelqu’un pour qui l’activité physique est importante » ou « je suis quelqu’un qui prend soin de lui/elle ».
2. Comprenez la boucle de l’habitude: déclencheur, envie, réponse et récompense
Nous ne réfléchissons jamais à ce qui impulse une habitude. Et pourtant : en la passant à la loupe, on retrouve invariablement le même schéma. Votre réveil sonne, vous n’avez pas du tout envie de sortir du lit, pour vous y aider, vous pensez à votre douche/votre café/votre lecture des nouvelles/alouette, et vous faites le geste associé, qui satisfait votre envie de vous éjecter de la couette. Appliquée au yoga, voici comment devraient se traduire les quatre étapes de cette boucle pour s’enchaîner avec fluidité :
Déclencheur
Votre pratique doit vous paraître évidente. À portée de main, aussi audible qu’une sonnerie de téléphone, aussi visible que votre tasse, et aussi proche que votre salle de bain.
Envie
Votre pratique doit être attractive. Séduisante. Aussi gouleyante qu’un espresso, aussi gratifiante qu’un scroll sur Insta, aussi dynamisante que le jet de la douche.
Réponse
Votre pratique doit être facile. Si vous ambitionnez de faire la charrue au saut du lit avec une pyramide d’accessoires, vous risquez fort de rester sous la couette. On se douche quotidiennement depuis qu’on n’a plus à aller tirer l’eau du puits et à attendre qu’elle chauffe sur les braises. Et la consommation de café est devenue mondiale du moment qu’on n’a plus eu besoin de trimer (nous-mêmes, d’autres esclaves modernes s’en chargent, sauf si vous consommez équitable) dans les champs de caféiers pour y goûter.
Récompense
Votre pratique doit être satisfaisante. Vous devez vous sentir mieux après, et ça, vous en êtes déjà convaincu.e.s!
Autrement dit, si vous n’avez pas encore réussi à faire rentrer le yoga dans votre journée, c’est qu’un problème enraye cette boucle, à un niveau ou à un autre. Identifiez-le : qu’est-ce qui empêche votre pratique d’être évidente, attrayante, facile et satisfaisante? Je continue avec quelques propositions pour dégripper le mécanisme.
3. Rendez votre pratique évidente
Pour ce faire, vous avez plusieurs leviers très intéressants à votre disposition.
Modifiez votre environnement
Le contexte est un puissant déclencheur. Votre matériel doit être visible. Même si vous n’avez pas ma chance d’avoir un studio à domicile, je gage que votre tapis se déroule sans compétition à plusieurs endroits de votre logement. Au pied du lit, dans le salon, ou derrière votre chaise de bureau. Les accessoires sont un souci? Stockez-les sur une petite desserte à roulettes, ou sur une tablette de votre bibliothèque ou de votre garde-robe, tant que vous n’avez pas plus d’un geste à faire pour les sortir. Loin des yeux loin du cœur, gardez votre tapis roulé à portée de vue.
Ajoutez des déclencheurs
Enfilez votre tenue sans plus tarder! Sans oublier que vous pouvez pratiquer en pyjamas ou en bobettes. Une routine qui démarre en moins de deux minutes sera plus facile à intégrer, et ouvrira une séquence autrement plus longue (mais pas forcément, j’y reviendrai). Au moment où j’écris ces lignes, j’ai déjà passé mon maillot de bain pour m’éjecter dans trente minutes de mon ordinateur sans laisser prise à l’évitement des longueurs de piscine. Vous pouvez aussi choisir une bande-son toujours identique que vous associerez sans vous en rendre compte au yoga.
Organisez une superposition d’habitudes
Associez votre pratique à une habitude déjà ancrée dans votre vie, et formulez cet enchaînement ainsi : « après avoir bu ma tasse de café, je vais faire du yoga« . « Après être rentrée chez moi et avoir mis des vêtements confortables, je vais dérouler mon tapis ». « Pendant que mon souper cuit, je vais faire trois postures ». « En écoutant ma fille pratiquer son piano, ou en interrogeant mon fils sur ses tables de multiplication, je vais étirer mes ischio-jambiers ».
Pour être encore plus efficace, cette superposition doit s’inscrire dans l’espace-temps : précisez le lieu et l’heure, même si vous êtes le seul destinataire soliloque de cette information. « À 7h, après ma douche, je vais faire Adho mukha svanasana trois fois dans ma chambre« . Laissez ensuite votre cerveau rouler tout seul.
4. Boostez l’attractivité de votre pratique
James Clear et moi vous proposons quelques astuces pour rendre votre pratique plus irrésistible qu’une série Netflix ou un bol de croustilles – et bien plus saine. Plus une activité est attractive, et plus elle a de chance de devenir une habitude.
Regroupez les tentations et les récompenses
C’est le même principe que la superposition d’habitudes. Vous aimez regarder une série Netflix? Déroulez votre tapis devant votre écran. Vous adorez écouter des balados (notamment l’excellente collection de mon amie Mylène sur la gestion du temps, qui m’a fait découvrir James Clear)? Enfilez vos écouteurs en même temps que votre collant. Vous trippez sur les bougies parfumées à la cire de soya? Créez-vous un rituel bien-être (tisane, musique, lampe de luminothérapie?) qui prendra deux minutes…et ouvrira une séquence plus longue, encore une fois!
Insérez votre pratique en sandwich entre deux habitudes bien établies et agréables, et vous n’y verrez que du feu : « après ma douche, je vais faire deux salutations au soleil pendant que mon café monte » (ou descend, suivant votre façon de le faire!). Et en plus, comme le yoga doit se pratiquer à jeun, vous avez une récompense automatique toute trouvée : après avoir fait ma séance de yoga, je vais manger!
C’est la promesse alléchante suivant l’habitude que vous cherchez à mettre en place qui va provoquer le pic de dopamine dans votre cerveau et non sa concrétisation.
Entourez-vous
Enfin, le rôle des pairs dans l’établissement d’une pratique est crucial. C’est cette gang qu’on va chercher dans un cours de yoga (et qu’on devrait trouver, à mon avis – d’où mon aversion pour les cours « drop in » qui empêchent les liens de se créer). À vous de cultiver ce cercle! Pourquoi ne pas se mettre d’accord pour des séances régulières tournantes, un dimanche chez toi, un dimanche chez moi? Sans avoir beaucoup d’espace, on peut se stimuler beaucoup à 2 ou 3! Ou se lancer un défi 28 jours en groupe! Ça va renforcer l’aspect identitaire, essentiel, du changement. S’entraîner entre yogis, c’est encore plus convaincant…
5. Facilitez votre pratique
Appliquez la loi du moindre effort
Pour vous y mettre d’abord : outre le fait que le déclencheur doit être évident (=visible), il doit être un jeu d’enfant. Enlever un vêtement ou dérouler un tapis prend quelques secondes et aucune dextérité. Il faut amorcer l’action et non la planifier. Simplifiez sa formulation, son initiation et son déroulement! Si vous êtes en place en moins de deux minutes, c’est gagné. Dites-vous : « je vais tomber mon pantalon et dérouler mon tapis » plutôt que « je vais faire x minutes de yoga ». Une brique et une sangle suffisent pour la majorité des poses les plus accessibles (un dictionnaire, une ceinture ou une cravate font très bien l’affaire).
Short and sweet
Oubliez les longues séquences car votre objectif est la fréquence. Il va être beaucoup plus efficace pour établir votre pratique de faire trois poses tous les jours que dix tous les dimanches. Pour respecter votre corps, je conseille d’alterner les postures. Par exemple, les jours pairs, vous pourriez choisir Adho mukha svanasana, Uttanasana et Trikonasa, et les jours impairs Dandasana, Setu bandha sarvangasana et Alexander’s twist. Vous êtes fatigué.es? Optez pour Supta padangusthasana, happy baby pose et Viparita karani.
Commencez par une durée ridiculement courte : fixez-vous cinq minutes, tous les jours. Quand l’habitude sera prise, vous rallongerez (graduellement, tout en restant dans votre zone du « facile, attractif, gratifiant »). Personnellement, quand je peux me le permettre, j’évacue toute notion de temps. Je m’installe et je vois ce qui me vient. Pour la natation, qui me prend plus de discipline que le yoga (ça n’étonnera personne), je suis toujours cette stratégie : je fais des blocs de dix longueurs, en m’imposant d’en faire au moins deux. Une fois lancée, je fais en général mon kilomètre.
Bafouez les dogmes
Le dogme de Savasana et de l’échauffement tend à entraver cette systématisation. Vous avez mon absolution pour sauter Savasana si ça vous chante, vous n’annulerez aucun bénéfice! Mais si ça fait partie de votre récompense…faites-vous plaisir, roulez-vous dans une couverture chaude avec un sac lesté sur les yeux! Pour le séquençage, franchement, si vous vous limitez à trois postures, je doute que vous incluiez la roue ou la chandelle. Je ne vois pas de risque imminent de vous péter une vertèbre avec la vingtaine de postures de base vers lesquelles nous, êtres humains paresseux, tendons naturellement.
Inspirez-vous
À ce stade surgit souvent l’obstacle de l’inspiration. Quelles poses choisir? Si vous êtes débutant.e.s, l’apprentissage auprès d’un.e enseignant.e qualifié et pédagogue est indispensable, et vous dotera d’un éventail de postures à pratiquer chez soi en toute sécurité. Si vous êtes un.e adepte confirmé.e, des livres ou des sites internet (comme le mien, cette section s’étoffera dans les prochains mois, spoiler alert) regorgent de séries toutes prêtes en fonction de votre niveau ou de votre condition physique et mentale.
Un avertissement : je déconseille formellement les vidéos en ligne qui ne laissent pas d’espace entre la démonstration et votre reproduction (même si j’en ai fait pendant la covid pour mes habitué.es). Le risque est réel de vous blesser le cou en plus de vous frustrer à devoir pitonner en même temps. Vous n’avez pas besoin d’une variété folle : faites-vous un programme sur un mois où vous roulerez avec dix poses, ce sera un excellent départ. Le mieux est l’ennemi du bien, allez toujours au plus simple! Et si le nom des poses est un obstacle, levez-le une fois par toutes en vous commandant un poster (ça pullule sur le web) pour tapisser la porte de vos toilettes, ou du placard devant lequel vous pratiquez.
Protégez votre pratique dans une bulle
N’oubliez pas d’éliminer de votre environnement tous les distracteurs qui viendront saborder vos beaux efforts : la technologie au premier chef. N’attendez pas non plus d’être dans un silence de cathédrale ou seul.e chez vous pour pratiquer, car selon votre configuration familiale, cette condition pourrait être une sournoise manière de procrastiner. Dernier conseil : commencez votre pratique avant d’avoir trop faim, ou la récompense du repas sera trop lointaine pour vous paraître encore attractive. Et si c’est trop tard et que vous avez déjà mangé, choisissez des postures debout ou assises qui travaillent les épaules sans brasser votre estomac. N’en faites pas une excuse pour remettre à demain votre pratique!
6. Savourez les fruits de votre pratique
Trouvez vos carottes
Cette étape est normalement la moins problématique, puisque le yoga vient avec une récompense intrinsèque et immédiate : le mieux-être. Une habitude doit être agréable pour durer, et on doit toujours se sentir mieux après une séance de yoga! Mais si cet état ne suffit pas à parachever votre motivation, gâtez-vous à certains jalons de votre parcours vers l’automatisation en ajoutant des récompenses secondaires.
N’oubliez pas que la fréquence l’emporte sur la durée : ainsi, planifiez de vous récompenser après avoir maintenu un bon rythme de pratique. Ici, je vous laisse débrider vos désirs les plus fous car on n’a sûrement pas les mêmes! Certains vont s’offrir la crème glacée décadente de leur quartier (à éviter si votre mantra est « je suis une personne qui prend soin d’elle-même ») quand d’autres choisiront la séance de ciné transgressive du matin en semaine ou un massage (je recommande la merveilleuse Annik).
Augmentez la cadence
Une condition à mon avis : que votre pratique soit (presque) quotidienne. Je ne pense pas qu’une pratique hebdomadaire vous conduise vraiment vers une habitude durable, mais surtout, j’ai observé que les progrès dans toute pratique venaient après deux séances par semaine. Une fois, on maintient. Deux fois, on progresse. Si vous vous offrez une séance cinq jours sur sept, facilitée par un cadre spatio-temporel stable et prévisible et tous les incitatifs mentionnés jusque-là, vous aurez la satisfaction de vous voir avancer très vite. Et la magie du yoga va opérer : les gains dans les postures pratiquées vont se transférer sur celles que vous faites rarement.
Suivez de près votre pratique
Mettre en place un suivi très visuel peut contribuer à vous stimuler et à vous récompenser. Là encore, la loi du moindre effort (l’évidence, l’attractivité et la facilité) doit guider le choix de la méthode. Si vous planifiez de tenir un journal de yoga, c’est une belle idée, mais ça peut imposer d’ajouter une habitude à celle que vous essayez de mettre en place…et vous surcharger. Une croix sur le calendrier ou votre agenda, ou déplacer un trombone d’un pot à un autre, concrétisera votre assiduité. À vous de décider ensuite la longueur de la chaîne à atteindre pour vous gâter.
Restez au plus près de vos besoins
Je vois cependant un risque : que vous poussiez trop loin vos poses et que vous vous sentiez constamment dans un effort désagréable et décourageant. Pourquoi aller au-delà de la zone qui vous fait déjà travailler? Vous n’en tirerez pas de bénéfices supplémentaires. De la même manière, respectez votre état. Le yoga nous offre une panoplie très large de postures répondant à tous nos besoins. À part si vous avez de la fièvre, seule contrindication, il y a une pose pour chaque condition. Vous avez la migraine? Adho mukha virasana avec le front tiré vers le nez devrait l’apaiser un peu. Vous avez vos règles? Plein de poses vous soulageront. Et si vous êtes épuisé.e, Savasana, c’est toujours du yoga!

Vous devez sortir de votre pratique dans un meilleur état que celui dans lequel vous l’avez initiée, et en retirer un sentiment de réussite personnelle et de fierté. Pas d’apprentissage sans plaisir ni émotions, j’en ai toujours été convaincue. Un principe cardinal du yoga est de ne pas se faire de mal. Si sauter une séance vous ronge ensuite de culpabilité, on manque notre but. Si ça arrive, rattrapez-vous le lendemain, voilà tout.
On n’apprend que dans le plaisir!
7. Pour durer, amusez-vous!
Dosez le challenge
Une fois votre habitude bien enclenchée, vous lui donnerez toutes les chances de perdurer dans le temps si vous faites des incursions hors de votre zone de confort, en rentrant toujours au bercail. Maintenez tous les paramètres de votre habitude, notamment la facilité, mais mettez-vous au défi ! Épicez votre pratique en élargissant l’éventail de vos postures. Privilégiez celles que vous comprenez bien, mais incluez une posture qui vous rebute pour avoir bientôt la satisfaction de la trouver pas si terrible que ça (c’était mon cas avec Parsvokonasana. Je la détestais avant de m’y attaquer sérieusement et de l’apprécier beaucoup plus).
Lâchez votre fou!
Essayez des postures plus ludiques comme celle de la grue ou celle sur les mains contre un mur, ou des postures bien connues en mouvement, ou en torsion. Ajoutez un support qui va vous permettre d’aller plus loin, d’avoir une autre perspective, sans risque d’outrepasser vos capacités. Par exemple, faire Uttanasana debout sur des briques permet d’allonger le torse en reculant le sol de vos mains. Ou le faire dos au mur pour venir l’y coller. Soyez iconoclaste en gardant votre robe sur le tapis ou en le sortant sur votre balcon (désolée, je ne vous suggèrerais pas d’aller au parc…les sols irréguliers me paraissent très peu propices à une pratique intéressante et sécuritaire).

Je réfléchis présentement à la création d’une plateforme qui soutiendrait la pratique personnelle, et qui proposerait pour ça d’autres ressources d’accompagnement et d’apprentissage que les vidéos qui saturent le web et qui causent des torticolis. Vous me rendriez service en remplissant ce court sondage (5 mn): https://forms.gle/vnY676wisKtuD5ec7 Faites tournez autour de vous!
(Notez que la pratique personnelle vient en complémentarité d’un cours pour les débutants).